dimanche 24 novembre 2013

Dans les cendres et les larmes du Paris-Opéra


On a beaucoup pleuré au procès de l’incendie de l’hôtel Paris-Opéra. Pas des longs sanglots monotones, mais des pleurs de colères, des cris de détresse, des larmes de rage. Huit ans et sept mois sont passés depuis la nuit du 15 avril 2005, mais les familles n’ont rien oublié. Contrairement aux prévenus, dont les approximations, les «je ne sais plus, ca fait longtemps» ont raisonné comme autant de claques de mépris pour les parties civiles.

Les deux premiers jours auront été ceux de l’incrédulité. Fatima Tahrour, qui reconnait avoir accidentellement mis le feu dans la salle des petits déjeuners, n’en dira pas plus. Les familles attendaient « la vérité », elles n’auront, face à elles, qu’un mur de silence. Quant à Nabil Dekali, veilleur de nuit alcolo et toxicomane, sa suffisance sidère. Evoquant un «feu de l’amour», ce colosse au visage barré de cicatrices dit regretter de ne pas avoir rejoint sa compagne cette nuit-là. «Rien ne serait arrivé». Ses remords s’arrêtent là.

mercredi 20 novembre 2013

« L’hôtel, à l’époque, était conforme »


«Pourquoi vous êtes en train de nous torturer comme ça ? Moi, ce que j’ai vu hier, ça m’a empêché de dormir toute la nuit (1). On n’est pas responsable, vous n’avez qu’à demander au Samu social ! » Entendue hier par le tribunal correctionnel de Paris, la gérante de l’hôtel Paris-Opéra, dont l’incendie, le 15 avril 2005, avait provoqué la mort de 24 personnes, issues pour la plupart de familles pauvres et étrangères, s’est effondrée en pleurs. Poursuivie pour homicides et blessures involontaires, elle encourt avec son mari cinq ans de prison. Leur fils – veilleur de nuit à l’époque – et sa petite copine font partie également des accusés.

Depuis le début des années 2000, les époux Dekali, gérants de l’hôtel Paris-Opéra, logeaient des familles très précaires envoyées par le Samu social et ses partenaires, l’ordre de Malte et l’Association des travailleurs migrants (APTM). Pour chaque personne hébergée, le Samu social payait 17 euros à l’hôtel. Une manne régulière non négligeable pour ces hôteliers qui renvoient aujourd’hui la responsabilité à cet organisme ainsi qu’à la préfecture, chargée du contrôle de l’établissement. Mais ni l’un ni l’autre ne sont sur le banc des accusés.

jeudi 14 novembre 2013

« Les gens, paniqués, jetaient leurs enfants par les fenêtres »



 «Un véritable cauchemar», «une scène de guerre». C’est en ces termes que le sergent Bauduret, de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, décrira aux enquêteurs la scène qui l’attend au 76, rue de Provence (Paris 9e). Nous sommes le vendredi 15 avril 2005, à 2 h 27 du matin. « Une pluie de corps s’était abattue sur la voie publique, les gens, paniqués, jetaient des enfants par les fenêtres, finissant certains par sauter eux-mêmes. » L’hôtel Paris-Opéra est en feu depuis vingt minutes.

À l’origine du drame, une banale dispute d’amoureux. Et encore. Nabil Dekali, veilleur de nuit à l’hôtel Paris-Opéra, fréquente Fatima Tahrour depuis plusieurs mois. Une relation « basée sur le sexe », d’après lui. À trente-sept ans, Nabil Dekali a repris du service depuis deux mois dans l’hôtel géré par ses parents. Célibataire depuis que sa femme l’a quitté avec son fils sept ans auparavant, il consomme régulièrement shit, cocaïne, crack, alcool et valium. À l’hôtel, il n’a pas de chambre, contrairement à son frère, Hamid, qui occupe un studio au sixième étage avec sa compagne. « Vagabond » de l’hôtel, selon sa sœur, Nabil s’installe souvent dans la pièce du petit-déjeuner au premier étage, où il étale quelques couettes en guise de matelas.

« Il y a eu tant de morts, il faut que ça serve à quelque chose »

Il ne veut pas recevoir chez lui. Depuis mai 2005, Paul Kenmeugne, cinquante-cinq ans, habite un logement social à la porte de Saint-Cloud. Mais « sans le drame, on n'aurait pas eu ce logement, dit-il. Ça me laisse toujours un goût amer ». Il aura donc fallu la perte de sa femme pour que Paul et ses jumeaux - qui fêtent aujourd'hui leur onzième anniversaire - obtiennent un logement et des papiers.

Le jour de l'incendie, Paul était en France depuis quarante-huit heures seulement. Sa femme, Charlotte, son fils, Eli Kelian, et sa fille, Ana Cassandra, étaient arrivés avant lui. Au téléphone, Charlotte lui avait dit : « L'hôtel n'est pas si bien que ça » Comme la majorité des migrants, les Kenmeugne n'étaient pas « toute la misère du monde ». Au Cameroun, lui travaillait dans le commerce, elle comme secrétaire médicale. Mais le couple ne parvient pas à avoir d'enfants. Une situation mal vue. Quand sa femme tombe enfin enceinte à trente-huit ans, de jumeaux, ils décident de leur donner toutes les chances possibles en venant s'installer en France. Elle part d'abord, lui la rejoindra.