jeudi 26 février 2015

Au tribunal de la misère ordinaire

Djibril, bientôt deux ans, a le crâne noir luisant et des chaussures trop grandes pour lui. Des baskets vertes qui lui font des pieds de clown. Quand il marche sur la moquette grise du tribunal d’instance de Bobigny (Seine-Saint-Denis), il fait un bruit de pachyderme. Mais ça n’a pas l’air de l’amuser plus que ça Djibril. L’enfant s’ennuie d’attendre depuis des heures que se parents soient enfin appelés à la barre.

« SCI X. contre M. et Mme D. ! », clame enfin l’huissier. Le couple se lève. Elle, jeune femme souriante en boubou vert et rose, cheveux couverts par un foulard ; lui, chemise colorée, cheveux poivre et sel, lunettes rondes sur le bout du nez. L’avocat du bailleur commence : « Nous demandons l’expulsion pour suroccupation. Ils sont au moins neuf dans cet appartement, alors que le bail n’en autorise que trois ! Ils ont sous-loué l’endroit qui est, de facto, très mal entretenu. » Le couple ne cille pas. Djibril continue à tourner en rond, cette fois-ci autour de la barre. « Cette situation n’est pas du tout celle que connaissent mes clients, répond posément leur avocate, Me Carole Yturbide. Quand ils sont arrivés, ils ont eu un bail pour une chambre de ce grand appartement, où la cuisine et la salle de bain sont communes. Ils ne connaissaient pas les autres familles. Le rapport de la direction de l’habitat et du logement note une absence de chauffage, des infiltrations d’eau, des murs humides et dégradés, de la peinture au plomb, des équipements sanitaires et une installation électrique en mauvais état. Et des cafards. » Depuis 2006, M. et Mme D. paient 1000 euros par mois pour cette chambre de 9 m2 dans laquelle ils vivent avec leurs quatre enfants. Ils réclament 8500 euros de dommages et intérêts. Décision mise en délibéré.

jeudi 19 février 2015

Les avocats de DSK font le procès de l’instruction

Tout est chamboulé en cette dernière semaine du procès Carlton. Tout s’écroule et se mélange. Lundi, plusieurs parties civiles ont renoncé à demander des dommages et intérêts contre Dominique Strauss-Kahn, «fautes de charges suffisantes» ; mardi, le procureur a livré non pas des réquisitions mais une véritable plaidoirie en faveur de l’ancien président du FMI. Que restait-il à ses avocats ? Livrer un réquisitoire acéré contre les magistrats instructeurs qui avaient décidé, en juillet 2013 et malgré le réquisitoire de non-lieu du parquet, de renvoyer DSK devant le tribunal pour proxénétisme aggravé. Ils l’ont fait brillamment hier matin durant près de trois heures, vilipendant des juges « partiaux », dont l’ordonnance de renvoi, « si féconde de détails bien inutiles », s’est retrouvée dans la presse, «transformant 66 millions de Français en voyeurs».

mercredi 18 février 2015

A Lille, le code pénal écrase la morale

Depuis le début du procès du Carlton, qui s’est ouvert le 2 février dernier, le procureur Frédéric Fèvre campe sur la même ligne : le droit, rien que le droit. « Chacun est libre de vivre sa sexualité comme il l’entend dès lors que son comportement n’est pas pénalement répréhensible. Nous travaillons avec le code pénal, pas avec le code moral », a-t-il asséné hier matin, en préambule de ses réquisitions. Ces dernières paraissent bien faibles face aux peines encourues : les quatorze prévenus, poursuivis pour proxénétisme aggravé, risquaient jusqu’à dix ans de prison et 1,5 million d’amende ; or une seule peine de prison ferme a été requise hier par le ministère public, les autres bénéficiant de sursis, voire d’une relaxe pour quatre d’entre eux.

mardi 17 février 2015

Le procureur requiert la relaxe « pure et simple » de Dominique Strauss-Kahn


C’est loin d’être une surprise, mais personne ne s’attendait à un tel plaidoyer. Cet après-midi, lors de ses réquisitions, le procureur de Lille, Frédéric Fèvre a fermement pris la défense de Dominique Strauss-Kahn, poursuivi depuis le 2 février devant le tribunal correctionnel pour proxénétisme aggravé. « En mettant dans la balance tous les éléments à charge et à décharge, je considère que ni l'information judiciaire, ni l'audience n'ont permis d'établir la preuve de sa culpabilité, a-t-il asséné. Je requiers donc sa relaxe pure et simple ».

«Il y aura un avant, et un après procès du Carlton»

Après deux semaines de débats, voici venu le temps des plaidoiries au procès du Carlton, qui se tient devant le tribunal de Lille jusqu’à la fin de la semaine. Les avocats des quatorze prévenus poursuivis pour proxénétisme plaideront les trois derniers jours de la semaine, après un réquisitoire attendu aujourd’hui.

Hier, la parole était donnée aux représentants des parties civiles, qui ont salué la tenue de ce procès hors du commun. «Il y aura un avant et un après procès du Carlton, a assuré Me Emmanuel Daoud, avocat du Mouvement du Nid. Bien sûr, la prostitution et le proxénétisme ne vont pas disparaître. Dès ce soir, les prostituées continueront à arpenter les trottoirs. Dès ce soir, les affaires continueront de prospérer pour Dodo et ses amis. Mais désormais, nous ne détournerons plus le regard.» «Nous avons fait le pari que ce procès ferait œuvre de salubrité publique», poursuit Me Daoud, pour qui «le pari est gagné» puisque le Sénat a enfin inscrit à son ordre du jour la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel. «Une loi qui nous donnera plus de moyens pour aider les prostituées à s’en sortir», a salué l’avocat.

vendredi 13 février 2015

Le procès Carlton, une plaidoirie pour l’abolition

C’est sans doute pire que prévu. Les associations de lutte contre le proxénétisme attendaient du procès Carlton qu’il raconte la réalité sordide de la prostitution, sa banalisation dans les milieux des affaires et du luxe, qu’il mette à nu l’indifférence des clients. Depuis le premier jour d’audience, le 2 février dernier, pas un jour ne se passe sans qu’un silence glacial ne s’abatte sur la grande salle au sous-sol du tribunal de Lille. Devant le micro qui résonne sur les murs en bois et en béton, les anciennes prostituées racontent l’horreur. Et le public, chaque jour plus nombreux à côté des centaines de journalistes accrédités, écoute tétanisé cette réalité, ces mots insupportables, ces scènes qui resteront à jamais graver dans la tête de ceux qui les écoutent.

mercredi 11 février 2015

Au procès Carlton, «on nous prend pour des brêles»


A quoi reconnait-on une prostituée ? A ses vêtements ? A ses pratiques sexuelles ? A celles de ses clients ? Cette question délicate est au cœur des débats depuis deux jours devant le tribunal correctionnel de Lille au procès dit du Carlton. Dominique Strauss-Kahn campe sur sa ligne de défense – pour l’instant d’une efficacité redoutable : oui, il est libertin et adepte de partouzes, mais non, il ne savait pas que les femmes rencontrées dans ces soirées étaient des prostituées. Il pensait coucher avec des « libertines », qui « aimaient ça ».  Ses co-prévenus abondent dans son sens : Fabrice Paszkowski et David Roquet, organisateurs de ces soirées, jurent avoir gardé le « secret » et demandé aux femmes de taire leur statut.

Les soirées avec DSK, « comme au temps de l’antiquité »

Lecteurs de l’Humanité, on ne vous le dit pas souvent, mais sachez que les puissants n’ont pas tous les jours la vie facile. Voyez plutôt Dominique Strauss-Kahn : en 2010, il est « l’un des hommes les plus importants de ce monde », comme l’a rappelé hier matin le président du tribunal correctionnel de Lille (Nord), devant lequel il comparait pour proxénétisme jusqu’au 20 février. « J’ai sauvé la planète de la crise des subprimes qui aurait pu être aussi importante que la crise de 29 », indique modestement DSK devant les juges. Sans compter les « autres ambitions politiques » que le socialiste avait en tête : favori des sondages, beaucoup le voyaient battre Nicolas Sarkozy à la présidentielle.

vendredi 6 février 2015

La vie sordide des filles dans les « bars à Dodo »

Au tribunal de Lille, jeudi matin, deux mondes se sont fait face sans jamais se comprendre. D’un côté, le proxénète belge Dominique Alderweireld, alias Dodo la Saumure – du nom du bain salé dans lequel sont marinés les maquereaux. Soixante-six ans, trapu, crâne dégarni et ventre rebondi. À ses côtés, sa compagne, Béatrice Legrain, dite Béa, de vingt-cinq ans sa cadette. Grande, toute de noir vêtue, une longue chevelure blonde qui lui tombe sur les épaules. Prostituée à ses heures, parce qu’elle « aime ça » et gérante de maison close.

mercredi 4 février 2015

« Un soir, j’ai ouvert 
mon frigo, il était vide… »

Jade (1) a beaucoup hésité avant de venir témoigner devant le tribunal correctionnel de Lille. Ce huis clos demandé par les partiesciviles et refusé par le tribunal l’a mise en colère. « Je ne peux pas encore estimer les dommages collatéraux, mais je vous promets de vous tenir au courant », lance-t-elle, rageuse, au président du tribunal, Bernard Lemaire. Et puis, « les gens disent que c’était entre adultes consentants, presque qu’on aimait ça ». Donc Jade est venue pour rétablir la vérité. « Je ne supporte pas l’expression “argent facile”. » Elle a mis une perruque châtain clair, des lunettes, une écharpe et un large pull noir. Aujourd’hui âgée d’une quarantaine d’années, elle s’exprime d’une voix douce, avec des mots simples et précis et livre un témoignage édifiant sur le monde de la prostitution.

lundi 2 février 2015

Au procès Carlton, rien ne sera épargné au « peuple français »

Ce n’est plus un procès pour proxénétisme, c’est le festival de Cannes. Dans une hystérie médiatique indescriptible, le procès du Carlton s’est ouvert en ce début d’après-midi devant le tribunal correctionnel de Lille, avec plus de 350 journalistes accrédités. Pour accéder à la salle du sous-sol où se tiennent les débats, il faut descendre des escaliers devant une centaine de cameramen et de photographes qui hurlent le prénom de chaque personne connue qui passent devant eux. « Dominique, levez les yeux, levez les yeux », scandent-ils à l’adresse de Dominique Alderweireld, alias « Dodo la saumure », désormais fameux proxénète belge. Dominique Strauss-Kahn, ancien directeur du FMI et un temps favori des sondages à la dernière présidentielle a réussi, lui, à contourner la meute. Accusés de proxénétisme aggravé, les quatorze prévenus risquent dix ans de prison et 1,5 million d’euros d’amende.