mercredi 18 février 2015

A Lille, le code pénal écrase la morale

Depuis le début du procès du Carlton, qui s’est ouvert le 2 février dernier, le procureur Frédéric Fèvre campe sur la même ligne : le droit, rien que le droit. « Chacun est libre de vivre sa sexualité comme il l’entend dès lors que son comportement n’est pas pénalement répréhensible. Nous travaillons avec le code pénal, pas avec le code moral », a-t-il asséné hier matin, en préambule de ses réquisitions. Ces dernières paraissent bien faibles face aux peines encourues : les quatorze prévenus, poursuivis pour proxénétisme aggravé, risquaient jusqu’à dix ans de prison et 1,5 million d’amende ; or une seule peine de prison ferme a été requise hier par le ministère public, les autres bénéficiant de sursis, voire d’une relaxe pour quatre d’entre eux.

Deux arguments expliquent la faiblesse de ces réquisitions. D’abord, pour le procureur, « ce n’est pas un réseau mafieux de proxénétisme qui a été démantelé, mais la pratique d’un groupe d’amis qui faisaient la fête pour satisfaire leurs égos, leurs ambitions, voire leurs besoins physiques ». Par ailleurs, « cette bande de copains » a « déjà payé au prix fort » leurs agissements. « Nous avons été confronté de part et d’autres à des vies brisées. Certains ont tout perdu : leur travail, leur honneur, leur réputation. Je demande au tribunal d’en tenir compte lors de son délibéré. »

Durant un peu plus de trois heures, le procureur et sa substitut, Aline Clérot, ont détaillé les charges retenues contre chacun des prévenus, en terminant par le plus connu d’entre eux, Dominique Strauss-Kahn, dont la seule présence a donné à ce procès une « dimension hors norme ». Lors de l’instruction, le parquet avait déjà requis un non lieu à l’encontre de l’ancien directeur du Fond monétaire international. La relaxe « pure et simple », requise hier par le procureur, n’est donc pas étonnante, mais l’entrain mis pour défendre DSK a surpris (lire ici). Ni l’instruction, ni les débats n’auront permis, d’après le parquet, de prouver sa culpabilité. « Il appartient au tribunal correctionnel de ne condamner que sur des preuves et non des convictions. Notre système judiciaire doit pouvoir s'enorgueillir de ne jamais condamner quelqu'un au bénéfice du doute. »

Plus étonnant, René Kojfer, 74 ans, le chargé des relations publiques du Carlton qui, de l’aveu même du procureur, a « largement contribué au proxénétisme sur la métropole lilloise » : seuls 15 mois de prison avec sursis sont requis et 2500 euros d’amende. Fabrice Paszkowski, homme d’affaire ami de DSK, décrit par Aline Clérot comme le « grand manitou », « financeur, recruteur, organisateur » de ces soirées : deux ans d’emprisonnement avec sursis et 20 000 euros d’amende. « Sans lui rien n’aurait été possible », a pourtant précisé Aline Clérot, le décrivant comme un « ambitieux prêt à tout pour faire plaisir aux puissants ». Même faible peine requise contre David Roquet, « le recruteur ». Ce dirigeant d’une filiale d’Eiffage avait demandé à Mounia, l’une des prostituées, de prendre une douche avant d’avoir un rapport avec DSK. « Par cette exigence, il s’est comporté comme un vulgaire commerçant qui veut présenter un bon produit à sa clientèle », a taclé Aline Clérot. Ces trois hommes, considérés comme des pivots du réseau lors de l’instruction, avaient tous fait de la détention provisoire – jusqu’à trois mois et demi pour David Roquet.

Autre surprise, le parquet a requis la relaxe de l’ex super flic, Jean-Christophe Lagarde, à l’époque des faits chef de la sureté départementale du Nord, qui a toujours prétendu, comme DSK, qu’il ne savait pas que les femmes dans ces soirées étaient des prostituées. « Le prévenu nous ment, mais ce mensonge ne peut à lui seul fonder une condamnation », a regretté Frédéric Fèvre. Seul Dominique Alderweireld, dit Dodo la saumure, s’est vu requérir deux ans de prison dont un ferme.

S’il suivait ses réquisitions, le tribunal correctionnel de Lille entérinerait la thèse d’une instruction à charge, qui s’est dégonflée tout au long des audiences. Des arguments qui vont certainement être utilisés par les avocats de la défense qui ont commencé à plaider hier en fin de journée. Les trois avocats de Dominique Strauss-Kahn seront entendus ce matin.

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