mercredi 11 février 2015

Au procès Carlton, «on nous prend pour des brêles»


A quoi reconnait-on une prostituée ? A ses vêtements ? A ses pratiques sexuelles ? A celles de ses clients ? Cette question délicate est au cœur des débats depuis deux jours devant le tribunal correctionnel de Lille au procès dit du Carlton. Dominique Strauss-Kahn campe sur sa ligne de défense – pour l’instant d’une efficacité redoutable : oui, il est libertin et adepte de partouzes, mais non, il ne savait pas que les femmes rencontrées dans ces soirées étaient des prostituées. Il pensait coucher avec des « libertines », qui « aimaient ça ».  Ses co-prévenus abondent dans son sens : Fabrice Paszkowski et David Roquet, organisateurs de ces soirées, jurent avoir gardé le « secret » et demandé aux femmes de taire leur statut.

Face à ceux qui savaient, il y aurait donc les ignorants : Dominique Strauss-Kahn, Jean-Claude Lagarde et Titouan Lamazou, qui a fait son apparition dans les débats aujourd’hui.  A Washington, le peintre navigateur a eu une relation avec Jade, « offerte » par Fabrice Paszkowski. « Si j’avais eu le moindre doute sur la présence de prostituées, je n’aurais jamais couché avec elles », affirme Titouan Lamazou, qui explique dans une déclaration lue à l’audience s’être senti « piégé ». « Ce n’est pas marqué sur leur front !, s’emporte, pour sa part, le commissaire de police Jean-Christophe Lagarde.  Tout le monde semblait heureux d’être là. »

Las, non, elles n’étaient pas heureuses ces prostituées et le répètent avec force à la barre. Mounia a raconté hier un rapport forcé, durant lequel elle pleure tandis que DSK « ne cesse de sourire ». Jade, qui semble si forte depuis le début des débats, s’est écroulée en larmes ce matin au souvenir d’une nuit avec l’ancien directeur du FMI. « Aucun client n’avait osé me faire ce qu’il m’a fait. Est-ce qu’il pense pouvoir tout faire parce qu’on n’a pas le même statut social ? ».

A la barre, DSK fait profil bas. « J’ai découvert lors de la confrontation à quel point cet épisode avait choqué Jade, je m’en suis excusé. » « Ca peut ne pas lui plaire, poursuit-il, mais j’ai les mêmes pratiques, qu’on peut qualifier de rudes, avec toutes les femmes, qu’elles soient prostituées ou non  ». Les débats s’enfoncent dans les détails les plus scabreux, le mot « sodomie » est lâché, Jade pleure, DSK perd patience : « Je commence à en avoir assez, quel intérêt de revoir systématiquement tout ça ? Sauf à me faire comparaître pour pratiques sexuelles abusives ! ». 

Pour Jade, au contraire, imposer des actes sexuels non consentis  relève d’un rapport de domination propre à celui d’un client avec une femme qu’il a payé. « Pour m’avoir infligé ce qu’il m’a infligé, il ne devait pas avoir beaucoup de respect pour moi, j’étais un objet, poursuit-elle. Si j’avais été une libertine, il m’aurait au moins demandé si j’étais d’accord. » Puis, un peu plus tard : « Il faut arrêter avec sa naïveté, vu ses compétences, son statut… C’est nous prendre pour des brêles. On n’est pas dupe, en tous cas, moi je ne le suis pas ».

Plus embêtant pour l’ancien directeur du FMI, Jade raconte un trajet en voiture durant lequel elle évoque ouvertement son activité  en Belgique. « Je lui ai dit que je travaillais dans un club échangiste, que je faisais des spectacles de danse qui se terminaient par un rapport sexuel sur scène. Il m’a dit que ce serait sympa de venir me voir un jour. On a aussi parlé des différences de législations entre la France et la Belgique. » Sans utiliser le mot « prostituée », Jade aurait donc explicitement dit être payée pour avoir des rapports sexuels dans un club belge. « J’ai compris qu’elle avait une sexualité débridée, assure pourtant DSK, pas qu’elle était prostituée. »
-          « Mais, pourtant, les libertines ne sont pas payées ? », l’interroge la tenace substitut du procureur, Aline Clérot
-          « Non, mais dans les clubs libertins, il y a des musiciens qui sont payés
-          Mais ils n’ont pas de rapports sexuels, si ?
-          Il ne s’agit pas de cela », s’agace DSK, qui perd pied pour la première fois depuis deux jours.
Ennuyeux également le témoignage de cet homme qui croise la route de la « petite bande d’amis » comme les appelle Aline Clérot et pour qui le statut des femmes qui les accompagne ne fait aucun doute. Dans un témoignage lu à l’audience, Jean-Claude Menault, alors numéro un de la police lilloise lance à son subordonné, Jean-Christophe Lagarde : « Vous n’allez pas me faire croire que ce sont des secrétaires ! Ce que vous faites est dangereux, plus jamais ça avec moi ».

Demain, les débats devraient porter sur l’appartement parisien mis à disposition par Dominique Strauss-Kahn pour ces soirées. S’il savait que ces femmes étaient des prostituées, il tomberait alors sous le coup de la loi sur le proxénétisme aggravé : des faits punis de dix ans de prison et 1,5 million d’euros d’amende.

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