dimanche 10 janvier 2016

Difficile procès d’un policier aux assises

Bavure ou légitime défense ? La cour d’assises de Bobigny a cinq jours pour décider si, oui ou non, le gardien de la paix Damien Saboundjian s’est uniquement protégé lorsque, un soir d’avril 2012, il a abattu un homme de 28 ans d’une balle dans le dos. Ce policier de 35 ans, qui risque vingt ans de prison, clame depuis quatre ans qu’il s’est simplement défendu contre un dangereux criminel armé. Le magistrat instructeur décrit, au contraire, un cow-boy prêt à tout pour réussir l’interpellation d’un gros gibier. Entre les deux versions, une «vérité judiciaire» émergera-t-elle des audiences prévues jusqu’à vendredi ? Elles se tiendront, en tout cas, dans un contexte très tendu, alors même que la loi antiterroriste, dévoilée cette semaine, prévoit d’assouplir les règles d’engagement armé des policiers.

Les faits remontent au samedi 21 avril 2012. Il est 20h30 lorsque la salle de commandement de la Direction territoriale de sécurité de la Seine-Saint-Denis reçoit un appel anonyme, passé depuis une cabine téléphonique vers le 17. Amine Bentounsi, un braqueur multirécidiviste de 28 ans, en cavale depuis deux ans, a été aperçu devant un bar à Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis). Une voiture de police, en patrouille dans la ville, se rend sur place.

A l’arrivée des forces de l’ordre, Amine Bentounsi fuit par une petite rue pavillonnaire, trois policiers le poursuivent en courant. Le braqueur les retarde en lançant derrière lui une grenade – qui s’avérera factice, mais un gardien de la paix se blesse au genou en se jetant au sol. Alors que le dernier policier est sur le point d’être semé, le chauffeur du véhicule de police, Damien Saboundjian, qui a contourné le pâté de maison, débouche en travers de la rue, à quelques mètres du fuyard, descend de voiture et se met à sa poursuite. Vingt mètres plus loin, alors qu’Amine Bentounsi traverse une intersection, Damien Saboundjian tire à quatre reprises dans sa direction. Amine Bentounsi tombe au sol, face contre terre. Héliporté vers l’hôpital Gorges Pompidou de Paris, le jeune homme mourra des suites de ses blessures, le 22 avril à 5h10. Son autopsie conclut à une mort par hémorragie interne, après avoir reçu une balle « dans la région dorso-lombaire quasi-médiane à 1,11 mètre de la plante des pieds. » Autrement dit, Amine Bentounsi a été tué d’une balle dans le dos.

Une enquête est confiée à l’inspection générale des services de la préfecture de police de Paris. Deux jours après les faits, Damien Saboundjian est placé en garde à vue, puis mis en examen le 25 avril pour «homicide involontaire». Une qualification très mal vécues par les policiers. Entre les deux tours de la présidentielle, plusieurs centaines d’entre eux manifestent sur les Champs-Elysées en soutien à leur collègue, en uniforme et sirènes hurlantes. Et reçoivent la promesse de Nicolas Sarkozy, s’il est réélu, d’une révision du texte encadrant la légitime défense.

Au cours de l'instruction, les faits seront requalifiés en «violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner». A chaque audition, le gardien de la paix reste sur une seule et même version : il estime avoir fait usage de son arme dans une riposte «nécessaire, simultanée et proportionnelle» face à une attaque «injustifiée, actuelle et réelle». Le fuyard, assure-t-il, courait tout en se tournant pour le menacer avec son arme. Et Damien Saboundjian d’assurer que, lorsqu’il a tiré, Amine Bentounsi lui faisait face. Comment, dès lors, expliquer la trajectoire de la balle ? Le policier suggère que le fuyard se serait brusquement retourné au moment même où partaient les coups de feu...

Cette hypothèse sera à l’origine d’une expertise et d’une contre-expertise, concluant toutes deux que « rien ne s’oppose à ce que la version du mis en examen soit exacte » : « Il faut moins d’une seconde pour qu’un homme debout fasse demi tour sur lui-même, il faut environ une seconde pour qu’un tireur, ayant déjà son arme à la main, tire quatre coups de feu », estiment les experts. « Il est toutefois surprenant, écrit le juge d’instruction dans son ordonnance de renvoi devant la cour d’assises, que ni Damien Saboundjian ni Ghislain B.  – son coéquipier NDLR - n’aient jamais évoqué ce mouvement de rotation de la victime avant que ne leur soit annoncé qu’Amine Bentounsi présentait une balle dans le dos. »

Une pique qui fait bondir l’avocat de la défense, Me Daniel Merchat – connu pour avoir été l’avocat des policiers mis en cause dans la mort de Zyed et Bouna à Clichy-sous-Bois en 2005. Ancien commissaire de police, Me Merchat résume les choses à sa façon : « Selon la partie civile, un bon policier est un policier mort et selon l’accusation, un bon policier est un policier qui se cache ! ». Et de plaider avant l’heure, en plein débat sur l’opportunité d’assouplir la légitime défense : « Moi je crois, et la majorité des Français sont d’accord avec moi, qu’un bon policier est celui qui se dresse face aux criminels, fusse au péril de sa vie ! ». L’argument est faible juridiquement, mais risque de porter auprès des jurés, surtout dans une ambiance traumatique post attentats où la côte de popularité des forces de l’ordre n’a jamais été aussi élevée. « La condamnation va être compliquée dans le climat actuel, reconnaît Me Michel Konitz, avocat de la famille Bentounsi. Les policiers sont les nouveaux héros de notre temps... »

La partie civile a pour elle les témoins de la scène, qui mettent à mal la version policière. Depuis sa voiture, à quelques mètres de la scène, Bernard S. assure avoir vu le policier « arriver en courant, tenant bras tendu son arme à la main » avant de tirer « au jugé » sur le fuyard. Quatre femmes, à bord d’une autre voiture, décrivent un policier « totalement paniqué », qui « braque son arme de service dans leur direction pendant quelques instants ». Par ailleurs, d’après plusieurs témoins, Amine Bentounsi a trébuché en traversant un passage piéton, ramassant son arme avant de se relever et ce quelques secondes avant que Damien Saboundjian ne fasse usage de son arme. Aurait-il eu le temps de se retourner pour menacer le policier alors qu’il venait de tomber ? Les témoignages des policiers présents sur les lieux, sont, eux, difficilement exploitables. Deux n’ont rien vu et le troisième changera quatre fois de version au cours de l’enquête.

La conclusion du juge d’instruction est sans appel : « Damien Saboundjian n’était pas en état de légitime défense au sens de la loi. » Il est « constamment resté à découvert alors que, selon lui, il venait d’être braqué par Amine Bentounsi, il avait pourtant toute possibilité de se mettre à l’abri derrière un fourgon stationné à proximité immédiate. Tout au contraire, il est allé consciemment au contact d’Amine Bentounsi, tout en sachant qu’il était armé. Il cherchait manifestement, à l’interpeller coûte que coûte sans veiller à assurer sa protection ». « Rien n’établit, ajoute le juge, que le fuyard l’ait à un quelconque moment réellement menacé, si ce n’est ses seules affirmations, difficilement corroborées par les versions multiples de  Ghislain B. - son coéquipier, NDLR - et aucunement confirmées par les témoins de la scène. »

Policier depuis quatre ans au moment des faits, Damien Saboundjian a été suspendu avec maintien de son traitement. L’expertise psychiatrique ordonné par le juge, si elle ne dénote rien de problématique précise «qu’au cas où il serait reconnu coupable, il conviendrait de lui interdire le port d’arme et de le soumettre à une injonction de soins afin de tempérer son émotivité et sa réactivité impulsive ».

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