jeudi 14 janvier 2016

«Vous préfériez aider un collègue plutôt qu’aider la vérité ? Oui »

C’est un procès exceptionnel qui se tient depuis lundi devant la Cour d’assises de Bobigny (Seine-Saint-Denis). Exceptionnel, parce qu’il aurait pu ne pas se tenir. Depuis le 21 avril 2012, un peu après 20h30, moment où le gardien de la paix Damien Saboundjian abat Amine Bentounsi d’une balle dans le dos, ses collègues policiers n’ont cessé de tout mettre tout en œuvre pour qu’il ne comparaisse pas devant la justice. Ces mensonges, pressions et autres manœuvres dilatoires, exposées à l’audience, en disent long sur le sentiment d’impunité d’une profession.

Si Damien Saboundjian est aujourd’hui sur le banc des accusés, c’est grâce à une enquête minutieuse de l’Inspection général des services (IGS, police des polices) : 42 fonctionnaires de police auditionnés, reconstitution, enquêtes de voisinage permettant de trouver de nouveaux témoins, expertises scientifiques, écoutes, etc. Une enquête d’autant plus exemplaire que les pressions sont nombreuses. A la barre, un commandant de l’IGS raconte ce «contexte particulier» : manifestations de policiers contre la mise en examen de leur collègue, récupération politique du président candidat Nicolas Sarkozy et des syndicats policiers décidés à «faire gicler» le lieutenant de l’IGS chargé de l’enquête. «Le lieutenant va manger», affirme sa responsable syndicale à Damien Saboundjian au téléphone, alors que ce dernier est sur écoute.

L’enquête montre également que les quatre policiers présents sur les lieux le soir du drame se sont largement concertés. Le dimanche 22 avril, au lendemain des faits, ils se retrouvent au commissariat de Noisy-le-sec pour rédiger, ensemble, le rapport. Les écoutes prouvent aussi que, contrairement aux recommandations de l’IGS, les fonctionnaires ont évoqué les faits ensemble de nombreuses fois.

Rapidement, les enquêteurs notent des «distorsions» dans les différentes versions des policiers. Lors de sa première audition, quelques heures après le drame, «Saboundjian était incapable de dire à quel moment il avait sorti son arme et dans quelle main Bentounsi portait la sienne», détaille, à la barre, le commandant de l’IGS. Quant à son coéquipier, le gardien de la paix Ghislain B., il affirmera à de nombreuses reprises avoir vu Amine Bentounsi braquer Damien Saboundjian avant de reconnaître, lors de la reconstitution, qu’il n’avait pas vu la scène du crime...

À l’audience, il peine à expliquer ses revirements : «J’ai pas réfléchi… c’était logique, jamais il n’aurait tiré si l’individu n’était pas face à lui.» Le policier continue à louvoyer.
- Est-ce que vous avez menti ? lui demande Me Michel Konitz, avocat des parties civiles.
- On peut dire ça…
- Oui ou non ? Un homme est mort !
- Oui, j’ai menti.
- Vous préfériez aider un collègue plutôt  que d’aider la vérité ?
- Oui.
Ghislain B. n’a, jusqu’a présent, subi aucune sanction pour les contrevérités dans ses déclarations. "Cela signifie qu'un fonctionnaire de police peut mentir sans être inquiété" a dénoncé Me Konitz hier après-midi.

Il y a aussi Vanessa B., grande blonde de 28 ans, adjointe de sécurité le soir des faits. Elle a quitté la police depuis, «dégoûtée par cette histoire». «J’ai vu l’envers du décor de la police.» L’envers du décor, ce n’est pas son collègue qui tire une balle dans le dos d’un homme en fuite, non, c’est l’enquête menée par l’IGS. «On a été traités comme des malfrats, il n’y avait aucune humanité, aucune souplesse», dénonce l’ancienne policière.
-Est-ce que, d’une manière générale, quand la police interroge, il y a de la souplesse ? lui demande le président.
- Non, souffle-t-elle.
- Trouvez-vous anormal qu’il y ait un procès ? embraye Me Konitz.
- Oui, ça me choque, quelque part je trouve ça odieux qu’il soit là.
Prostré sur son banc, l’accusé regarde fixement devant lui. Hier, des témoins se sont succédé à la barre, contredisant sa version des faits. Alors que le gardien de la paix affirme avoir tiré sur Amine Bentounsi dans un contexte de légitime défense, plusieurs personnes assurent avoir vu l’homme fuir sans se retourner. Depuis sa voiture, une femme voit Damien Saboundjian «blême», «paniqué», pointer son arme vers elle durant quelques secondes. Surtout, elle raconte qu’après plusieurs jours d’hésitation, elle a fini par appeler le commissariat de Noisy-le-Sec pour proposer son témoignage. «Les policiers m’ont répondu que ça ne servait à rien, que ça n’avait pas d’intérêt, qu’il valait mieux que je raccroche.» Le commissariat de Noisy-le-Sec est celui où Damien Saboundjian travaillait.

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