mercredi 10 août 2016

A Marseille, 29 minutes de procès et au trou !



Vingt-neuf minutes : c’est le temps moyen consacré par la 11e chambre du tribunal de grande instance de Marseille à chaque audience de comparution immédiate. Dix-sept minutes pour la présentation de l’affaire, les témoins et la plaidoirie de la partie civile, six minutes pour le réquisitoire du parquet et autant pour la plaidoirie de l’avocat.

Pour étudier cette justice expéditive, l’observatoire régional de la délinquance a, au contraire, choisi de prendre son temps : de février à juin 2015, une équipe composée de chercheurs de l’université d’Aix-Marseille, de membres de la Ligue des droits de l’homme, d’observateurs citoyens et d’étudiants en droit s’est relayée chaque jour à partir de 14 heures et jusqu’à la fin du rôle. Au total, plus de 500 affaires sont ainsi entrées dans les grilles d’observation déjà utilisées pour des études similaires à Toulouse, Nice et Paris.

Leur rapport, publié en juillet, confirme les précédentes études, avec « des prévenus largement isolés et précaires, jeunes et masculins » : 95 % d’hommes et un âge moyen de 29 ans. Seuls 26 % ont leur propre logement, 11 % sont sans domicile fixe, 22 % vivent dans des conditions de grande précarité. Sur les 448 cas renseignés, deux tiers sont sans emploi, seuls 19 % bénéficient d’un emploi stable. Ils sont majoritairement célibataires (59 %), sans enfants (74 %). « Les personnes marginalisées sont le cœur de cible de la justice pénale, analyse Sacha Raoult, enseignant-chercheur à la faculté de droit et de sciences politiques d’Aix-Marseille et coauteur de ce rapport. On réserve les voies les plus dures aux hommes, aux jeunes et aux étrangers par crainte qu’ils ne s’enfuient. » Plus de la moitié des prévenus (52 %) rencontrent des problèmes de santé mentionnés durant l’audience (dépendance aux stupéfiants, alcoolisme, problèmes psychiatriques, psychiques ou physiques).

Autre statistique qui a son importance : 64 % des prévenus ont déjà un casier judiciaire. Une donnée primordiale pour leur orientation par le parquet vers une procédure rapide. « C’est là que tout se joue, alors que cette étape n’a pas d’appel, remarque Sacha Raoult. Cela donne à cette justice un aspect exécutif très fort qui fait réfléchir sur la séparation des pouvoirs. »

Depuis sa mise en place sous le Second Empire, la procédure de flagrant délit, devenue en 1983 celle des comparutions immédiates, n’a cessé de s’élargir pour concerner aujourd’hui quasiment tous les délits (ceux punis de six mois de prison au minimum en cas de flagrant délit, deux ans sinon et d’un maximum de dix ans d’emprisonnement). Aux audiences se mélangent donc allègrement les délits graves et la petite délinquance sociale. Une observatrice se dit ainsi surprise qu’« une audience pour un vol de lunettes par un sans domicile fixe sans casier judiciaire soit jugée selon la même procédure qu’une affaire d’atteinte sexuelle sur enfant par son grand-père, déjà condamné à dix années de réclusion criminelle par une cour d’assises pour des faits identiques ». Spécificité marseillaise : le fort contentieux (près de 20 %) lié aux stupéfiants.

Pendant le déroulement des audiences, les observateurs « relèvent des prévenus qui ont l’air épuisés et stressés, des avocats qui ne semblent pas souvent avoir eu le temps de travailler sur le fond de l’affaire ». Ils notent aussi une « sorte de formatage de la justice pénale, avec des expressions légales et judiciaires qui reviennent de dossier en dossier et de jour en jour ».

Toutes les trois ou quatre affaires, le tribunal se retire pour délibérer durant une moyenne de vingt et une minutes. La peine de prison est de loin la plus prononcée (77 %), et ce, malgré l’introduction récente de la contrainte pénale (les observateurs n’en ont comptabilisé que huit durant les cinq mois d’étude…). « Le large éventail des peines alternatives (comme le travail d’intérêt général ou les jours-amende) n’est quasiment jamais utilisé par les juridictions », précise le rapport. Dans plus d’une affaire sur deux (53 %), le président prononce une peine de prison ferme s’accompagnant d’un mandat de dépôt, c’est-à-dire par une incarcération immédiate de la personne.

« Il y a un effet générationnel, analyse Sacha Raoult. Les jeunes juges vont s’approprier les nouvelles peines, mais il leur faut du temps. Il est aussi beaucoup plus facile pour un juge de mettre en prison quelqu’un qui est déjà détenu.

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