mardi 19 septembre 2017

Quai de Valmy : après une enquête à charge, un procès expéditif…

C’est un procès très politique qui s’ouvre cet après-midi devant la 14e chambre du tribunal correctionnel de Paris. D’un côté, des policiers réclamant un « signal fort » avec le très droitier syndicat Alliance en partie civile ; de l’autre, huit prévenus qui estiment avoir été jetés en pâture pour assouvir la colère policière…

Les faits remontent au 18 mai 2016. En plein mouvement contre la loi travail où les violences policières prennent une ampleur inédite dans les cortèges (plus de 1 000 blessés, selon Amnesty International), une poignée de policiers appellent à un rassemblement place de la République « contre la haine anti-flics ». Une contre-manifestation, à l’appel du collectif Urgence, notre police assassine, s’organise. La notification de son interdiction tombera quelques minutes avant le rassemblement. Vers 12 h 30, alors que les manifestants contre les violences policières remontent le quai de Valmy, une voiture de police sérigraphiée est prise à partie par des manifestants cagoulés.

Une dizaine d’individus entourent le véhicule dans lequel se trouvent deux fonctionnaires en uniforme. Les vitres sont brisées, le pare-brise arrière cassé à coups de plot métallique, tandis qu’une fusée de détresse lancée à l’intérieur l’embrase rapidement. Un homme ouvre la portière de la passagère, Alison Barthélémy, pour l’extirper. De son côté, le conducteur Kevin Philippy, après avoir reçu plusieurs coups au visage à travers la vitre, sort et est alors agressé avec une barre de fer. Son sang-froid lui vaudra le surnom de « policier kung-fu ». Il a depuis été décoré de la médaille d’or de la sécurité intérieure, tout comme sa collègue, choquée, qui dira aux enquêteurs avoir « cru mourir ». Cette scène, impressionnante et filmée par plusieurs témoins, devient rapidement virale sur Internet, suscitant de multiples réactions politiques. Le premier ministre de l’époque, Manuel Valls, réclame des « sanctions implacables ».

Menée au pas de charge, l’enquête s’oriente rapidement vers des « membres de la mouvance radicale ultragauche ». Avant la fin de la journée, trois étudiants sont arrêtés : Angel et Antonin Bernanos, 18 et 21 ans, et Bryan Morio, 22 ans. Tous trois sont interpellés et perquisitionnés sur la base de « notes blanches », ces fichiers des renseignements généraux très controversés puisque anonymes.

Et c’est aussi sur la base d’un témoignage anonyme – qui se révélera être celui d’un policier – que les frères Bernanos sont déferrés et placés en détention provisoire. Ils clament depuis leur innocence. En vain. Antonin Bernanos, brillant étudiant en sociologie à l’université de Nanterre et directeur d’un centre de loisirs, fera dix mois de détention provisoire à Fleury-Mérogis ; son frère Angel, étudiant en géographie de 18 ans, y restera plus d’un mois… Dans le même temps, un autre individu, accusé des mêmes faits, sera également placé derrière les barreaux. « J’ai découvert que, en France, deux personnes pouvaient être en prison en même temps, pour la même chose », a ironisé Angel Bernanos lors d’un débat, samedi, à la Fête de l’Humanité. Son frère, lui, dénonce un « véritable acharnement de la part de l’institution judiciaire ». Trois juges des libertés avaient autorisé sa libération, refusée à chaque fois après appel du parquet. « Le durcissement sécuritaire qu’on observe dans la répression du mouvement social est aussi révélateur d’une crise de la démocratie, analyse Antonin Bernanos. Aujourd’hui, les questions sociales sont réglées par la police et la justice. »

Les deux frères bénéficient d’un large front de soutien. Dans une tribune à l’Humanité, ses professeurs dénonçaient (lire notre édition du 14 septembre) la « répression d’une jeunesse qui pense et qui agit ». Dans un texte paru sur Mediapart, Vanessa Codaccioni et Michel Kokoreff, enseignants-chercheurs à l’université Paris-VIII, ont fustigé, eux, un « procès politique ». « Il y a une volonté de pénaliser la lutte sociale en faisant un exemple », confirme Jérémie Assous, qui défend Bryan Morio. Tandis que l’avocat d’Antonin Bernanos dénonce une « affaire instrumentalisée par l’État » : « Un témoignage anonyme n’aurait jamais dû conduire à une interpellation, ni à une mise en examen et encore moins à une détention provisoire », regrette l’avocat Arié Alimi. « L’enquête a été faite à l’envers, renchérit Geneviève Bernanos, mère d’Angel et d’Antonin. On est face à un système rodé qui monte des dossiers de toutes pièces à partir du profil des gens. Aujourd’hui, il faut qu’on en finisse, que notre cauchemar s’arrête. »

Au final, neuf personnes sont poursuivies. Cinq d’entre elles, dont Antonin Bernanos, encourent dix ans de prison pour violences volontaires aggravées par cinq circonstances (sur personne dépositaire de l’autorité publique, en réunion, avec usage d’une arme, par des personnes dissimulant leur visage, avec préméditation). Elles étaient au départ poursuivies pour tentative d’homicide involontaire, des faits passibles de la cour d’assises, mais les juges d’instruction ont correctionnalisé l’affaire. Quant à Angel Bernanos et aux deux autres prévenus, ils sont désormais simplement poursuivis pour avoir « participé à un groupement en vue de la préparation de violences volontaires ». Des faits punis d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.

Jusqu’à vendredi, huit personnes se tasseront donc sur les bancs des prévenus. Un neuvième homme, un Suisse de 28 ans soupçonné d’avoir lancé la fusée de détresse, fait l’objet d’un mandat d’arrêt. Trois ont reconnu les faits. Arrêtée lors d’une manifestation fin mai, Kara B., transgenre américaine de 28 ans, a expliqué avoir jeté un plot sur la voiture, « mue par l’excitation et la colère ». Nicolas F., chômeur de 40 ans, a lui reconnu avoir frappé le véhicule à plusieurs reprises à l’aide d’une barre de fer avant d’en briser le pare-brise arrière. Il a précisé avoir « basculé » à la suite des violences policières dans les cortèges contre la loi travail. Tous deux sont en détention provisoire. Enfin, Thomas R., 20 ans, expliquait ses coups de pied sur la voiture de police par « l’effet de groupe et la colère d’avoir reçu un tir de Flash-Ball lors d’une précédente mobilisation ».

Seulement quatre demi-journées d’audience seront consacrées à ce procès. Le collectif Libérons-les appelle à venir soutenir les prévenus chaque jour à partir de 13 heures au TGI de Paris. Un rassemblement à l’initiative du Front social, soutenu par des personnalités comme Danièle Obono (député France insoumise de Paris), Olivier Besancenot, Frédéric Lordon et plusieurs organisations syndicales, associatives et politiques, est organisé ce soir à 19 heures devant le tribunal.

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