vendredi 15 décembre 2017

Les avocats, twitter et André Gide

Le procès de Georges Tron et de Brigitte Gruel pour viols en réunion et agressions sexuelles devant la cour d'assises de Bobigny sera t-il reporté ? C'est en tous cas la demande faite ce matin par les avocats des deux accusés, qui ont soulevé un incident d'audience. Antoine Vey, avocat de l'ancien secrétaire d’État à la fonction publique, a dénoncé au début de ce quatrième jour d'audience « la diffusion d'un reportage hier soir et les attaques inacceptables contre le président ». France 2 a diffusé hier soir un reportage d'Envoyé spécial consacré à l'affaire, auquel la défense a refusé de participer. Pour l'avocat, « la diffusion de ce reportage nous place dans une situation impossible. Le climat n'est plus serein ».

Quant aux accusations contre le président de la cour d'assises, elles émanent principalement du réseau social twitter. En lisant les live-tweets de l'audience hier, de nombreux internautes ont dénoncé l'audition de l'une des parties civiles, Virginie Ettel, par le président. « Lire le LT des journalistes du procès #Tron, voir le ton avec lequel les plaignantes sont interrogées => arrêter de se demander la bouche en cœur pourquoi les femmes n'osent pas porter plainte », écrit par exemple l'ancienne ministre Cécile Duflot. « Le procès #Tron où l'exemple de chaque instant de la manière dont on se trompe d'accusé.e. Rappel c'est #Tron l'accusé et savoir si la victime a un string ou une culotte haute n'a pas grand intérêt », dénonce pour sa part Sandrine Rousseau, l'une des accusatrices de Denis Baupin. « Envie de pleurer. De honte, de colère, de désespoir. Ce procès est tellement emblématique de la façon dont notre société (police, justice, famille, école, travail) maltraite les femmes victimes », tweete la militante féministe Caroline de Haas.

Des « attaques personnelles inacceptables » contre un président d'assises selon la défense. Me Franck Natali, avocat de Brigitte Gruel, se fait le plus vindicatif : « J'ai quarante ans de barreau, je n'ai jamais vu ça. Une campagne pareille. Les mots que je prononce là sont déjà sur twitter », puis prenant à partie une femme avec son téléphone : « Là, vous twittez ! Vous devriez être plus discrète ! ». Depuis de nombreuses années, twitter est autorisé pour les journalistes en salle d'audience, un outil qui permet à la presse de rendre compte en temps réel des procès. Comme souvent sur les réseaux sociaux, l'opinion publique se saisit parfois de ces tweets pour dénoncer l'attitude de tel avocat ou de tel président. Les journalistes ne se privent pas non plus dans leurs chroniques judiciaires de sabrer les acteurs judiciaires, ils le font maintenant sur twitter comme ils le faisaient avant dans les longs feuilletons que la presse quotidienne leur réservait. Mais pour la défense, ces remises en causes du président de la cour risquent d'influer sur la suite de l'audience, ce dernier hésitera peut être désormais à poser certaines questions aux plaignantes ou aux témoins. « Compte tenu des circonstances » et « à grands regrets », les avocats des deux accusés demandent donc le renvoi.

Pour les parties civiles, Me Alexandre-M. Braun s'oppose « fermement » à cette demande : « La vérité, c'est que M. Tron n'a pas envie d'être jugé. Envoyé spécial est un prétexte. La défense a la sentiment que ce procès est plus difficile que ce qu'elle pensait. Ça suffit la naïveté, la justice est publique ! ».

Enfin, l'avocat général, Frédéric Bernado, se lève. Pour parler face aux jurés, il descend de son estrade et se place face à eux :
« La presse s'introduit dans les cours d'assises ? C'est une tarte à la crème ! Ce débat est aussi vieux que les cours d'assises, André Gide le racontait déjà. Les tweets c'est quoi ? Un compte rendu d'audience, pas plus. C'est parfaitement autorisé. La défense ne se prive pas de parler à la presse dehors. Mais tout ce qui est dehors, c'est du brouhaha, de l'écran de fumée. Le procès se passe ici, dans cette cour d'assises. Ce qui importe le plus, c'est la liberté d'information. En quoi la presse vient-elle aujourd'hui porter atteinte au procès équitable ? Il n'y a pas de risque de mon point de vue, je m'oppose à cette demande de renvoi. »

« Surtout pas d’indulgence », c’est le mot d’ordres, soufflé par les journaux », écrivait André Gide en 1914 dans ses Souvenirs de cour d'assises... La cour s'est retirée pour statuer sur cette demande de renvoi et rendra sa décision à 14 heures.

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